Septiembre 2023
L M X J V S D
« Abr    
 123
45678910
11121314151617
18192021222324
252627282930  

JULIEN BLAINE

-
à la suite  du 3e festival international
de poésie expérimentale et d’action
d’avril 2011
:

En ce qui me concerne, je n’ai jamais su si j’allais commencer un travail,
si j’allais attaquer un nouveau chantier,
ce que je venais de débuter serait-il vraiment un travail ou un brouillon éphémère ?
Pour cette recherche, je m’y suis mis sérieusement de 1992 à 1997, il y a plus dix ans avec la publication d’un premier volume de ce corpus :
du sorcier de V. au magicien de M.
qui parut le jour de l’an 1998.
Cela commençait par un feuilleton publié dans Art-Présence, du n°9 au N°22.
Quelques constatations émises là me servent encore dans le travail tel que je l’accomplis aujourd’hui :
Une femme au Kenya sortait de la morgue après y être resté défunte 4 jours
(Daily Nation du 22 décembre 1993)

Le conseil des sages chez les Bamileke au Cameroun,
ce sont 9 personnes et ce sont les neuf orifices de l’homme :
les narines, le pouvoir ;
les oreilles, la prévoyance ;
les yeux, la sécurité ;
la bouche, la relation ;
le sexe, le rendement ;
l’anus, le service.

Toutes les significations du verbe relever :
remettre debout ce qui était tombé
reconstruire ce qui était en ruine
remettre à flot ce qui était échoué
retrousser ce qui masquait les formes
redresser ce qui était incliné
rétablir ce qui avait failli
rendre digne ce qui était méprisé
remplacer ce qui était parti
remarquer ce qui était l’erreur
révoquer ce qui était néfaste
délier ce qui était promis
donner du goût à ce qui était fade
guérir ce qui était malade
faire valoir ce qui n’était pas remarqué
déterminer la position d’un objet
déterminer la position d’un monument
déterminer la position d’une œuvre
déterminer la position d’un corps.

Quelques pictogrammes du codice Boturini et notamment le célèbre lapin Toltèque.
relevés dans mon bloc-note
la veille d’un tremblement de terre de 6,8 sur l’échelle de Richter
(La Jornada du 25 octobre 1993)
À partir de cette remarque proclamée à mes interlocuteurs de la parenté – à l’audition – entre le Golem de Pragues,
créature d’argile qui s’anime pour protéger les juifs du ghetto
et Koyem (ce qui signifie tête de boue) poupée votive kachina des indiens Hopi,
j’avais émis l’hypothèse que le Golem-Koyem pouvait être la terre toute entière…
Mais où est sa langue qui la fait tant remuer chaque fois que je fais part de mes suppositions ?

Je parlais aussi des rites autour de Tanit et des mythes apolloniens et solaires accompagnés de quelques remarques sur le cosmos.
Et c’est là, que se déclencha ce qui me passionne encore aujourd’hui :
L’Aïn de l’hébreu et l’alpha du grec sont une seule et même lettre, simplement elle change de sens :
Le
A change de sens. La lettre change de sens.
et dans cette lettre à peine modifiée, on va retrouver tous les pictogrammes, idéogrammes et dessins de la plupart des spiritualités,
qu’elles soient naturelles ou monothéistes, soit une feuille stylisée, avec nervure, iris, arête ou tube :
le poisson,
l’œil,
la feuille,
la plume.

Je pouvais enfin me mettre sérieusement au travail, et ce fut la publication d’un second catalogue :
La cinquième feuille (décembre 2000)
Car, entre temps, je m’étais aperçu qu’il y avait une cinquième figure spirituelle représentée par cette feuille, cet ovale fendu : la vulve.

Après un laborieux travail sur les feuilles des arbres du lac Stanberger en Bavière je me remettais dans l’axe :
le tube
la nervure
l’arête
l’iris
la fente

charnière & articulation : a x e
la question n’est pas qu’est-ce que je veux dire ?
mais qu’est-ce qu’ils veulent dire ?
Qu’est-ce qu’ils veulent me dire ?

J’allais voir partout où je le pouvais des mains négatives et positives, puis les innombrables représentations symboliques, allégoriques ou rituelles des mains à travers les millénaire.

Les abris et cavernes des grottes ornées, célèbres ou secrètes, en compagnie de Christian Archambeau, une sorte d’explorateur de grottes préhistoriques.

Je lus beaucoup (Henri Delporte, André Leroi-Gourhan, Alain Roussot, Brigitte et Gilles Deluc, Jean-Pierre Duhart, Denis Vialou, Jean-Guillaume Lalanne, Joëlle Robert-Lamblin, Yanik Le Guillou et surtout Jean Clottes) alors, je compris que cette cinquième feuille était surtout manifeste dans les périodes aurignaciennes.
J’ai relevé, photographié la plupart des vulves visibles et visitables même de manière confidentielles (j’ai failli dire intimes !),
j’ai même retrouvé celle du musée de préhistoire de Périgueux, grâce au registre du musée (article 4707) : la pierre avait été posée dans la cour sur la surface comportant la vulve et l’autre face était vierge !

J’ai été passionné par celle retrouvée dans les décombres de l’abri du poisson.
La vulve à terre, le poisson au plafond et l’empreinte de la main de l’enfant assez proche du bécard bordé par les trous de la barre à mine du voleur bredouille…

Au verso de la vulve de la Ferrassie, j’ai vérifié ce que le Docteur Lalanne et le Chamoine Bouyssonie appelaient « des reliefs et des cavités » :
étaient, en fait, selon moi, l’abouche (en un seul mot) à l’extérieur du corps, le trou du cul correctement creusé à sa place et plus simplement nommé !
J’ai aussi mis côte à côte deux des femmes de Laussel, celle qui tient la corne (avec sans doute un calendrier lunaire gravé) et celle qui tient le cercle fendu (la vulve, je crois).
La symbolique me parait simple, évidente.

Je suis allé à la rencontre de cultures naturelles loin des massacres de l’inquisition papale d’Innocent III,
chez les Piaroas au confluent de l’Amazone et de l’Orénoque grâce à mon ami Jean Monod
et chez les Bamileke au nord-est du Cameroun.
Et ailleurs encore, dans des îles lointaines et des vallées reculées…

Et je finis ce volume par quelques chants en son honneur, la conjuguer avec des verbes d’une seule syllabe suivi d’un délire après une recherche typographiques sur nos polices et nos caractères qui
seraient la poursuite, la représentation, l’écriture moderne de la vulve :
æ
x œ & (L’esperluette) 8 (la ciboulette)
l’écriture moderne et alphabétique de la vulve.

Alors, chaque année j’éditais chez Al Dante un Cahier de la cinquième feuille
le n°1 parut le premier avril 2001 et ce ne fut pas un poisson d’avril, cela raconte ma mise en examen du 1er avril 1999 au 28 août 2000 (17 mois !)
pour aboutir enfin à l’article 183 du code de procédure pénale : Non Lieu !
Et tout ça pour 2 ou 3 photographies de vulves enfantines prises par ma bru
afin que je puisse les comparer avec les vulves gravées dans les grottes et les abris sous roche,
vérifier leur stylisation ou leur réalisme.

Cahier de la cinquième feuille n°2
(1er avril 2002)
J’essais de comprendre et plus encore de deviner et d’imaginer les chants et les rites…
Et là, je vais visiter la grotte de Cazelles !
Maintenant je ne sais toujours pas leurs rites mais il y a un rituel, je ne sais ni les chants ni les gestes du chamane mais il y a des chants et des gestes.
Sans doute des percussions, sans doute des sifflements et des souffles.
L’entrée de la grotte à ras de la falaise n’est pas plus grande que l’embouchure de la tanière d’un renard,
on glisse dans un étroit couloir de glaise et on arrive dans une cavité où on a de l’eau jusqu’à mi cuisse…
lecture d’un poëme autobiographique
Lire de la rive

Je réinvente des rites certainement inexacts, mais aujourd’hui, en art contemporain cette appropriation, cette inexactitude, cette erreur s’intitule performance,
pour moi un poëme en chair et en os & à cor et à cri.
C’est dans ce numéro là, aussi, que j’ai publié la photographie du berceau de Brassempouy avec son nourrisson ou du cercueil avec son gisant.
le lange et le linceul
l’ange et l’un seul.

Cahier de la cinquième feuille n°3
(1er avril 2003)
Je continue à réinventer des rites, à les compléter par des rites de tatouage.
Je vis dans l’erreur, cette erreur me comble. Elle a sur moi un effet aussi fort que si j’avais découvert leurs rites, leurs chants ;
je lis et décrypte leurs icônes, je traduis tout et je transmets : je sais.
Bien sur, je ne sais rien mais cette incompétence, cet accomplissement dans l’incompétence est plus fort que le savoir.
Je connais leur culture, je vis leur culture mais je ne puis ni la dire…
Comme les enfants, je fais semblant de connaître, je fais semblant d’y être, je fais semblant d’en être.

Et je découvre la grotte Chauvet avec Jean Clottes  !
Il me décrit la Vénus du pendant rocheux de la salle du fond (toujours cachées et au fond, les vulves) :
« Descendez, là ! Attention les parois ! Parce que là, il y a des gravures, il y a des choses partout.
Là, je vais vous montrer simplement ; là ! Vous voyez : vous avez le triangle pubien et la vulve ; vous voyez là, hein ? »
« Là, c’est ce qu’on appelle le pendant du sorcier. C’est là.
On a le haut du corps d’un bison au contact d’une femme.
Vous avez… On voit très bien le triangle pubien, les jambes vues de face mais d’ici : déjà la femme, on la voit assez bien, d’ici.
On est posté où il faut. »


Cahier de la cinquième feuille n°4
(1er avril 2004)
À La Réunion mes faux rites font de l’effet, me font de l’effet, nu, fardé de terres colorées, le sexe caché par des ancives,
je joue des conques que j’ai percées moi même et sonne dans des cornes de toute sorte d’animal…
Le volcan pète et la lave coule à chacun de mes séjours, la vulve géante se réveille, j’imagine, je vois le globe terrestre avec ses milliers de vulves en feu.
Et je fais le tour du monde avec mes déclara©tions et autres démonstra©tions.
J’essaie de faire oublier l’inquisition qui a mis au feu tous ces secrets
et le monde contemporain gouverné par des gens de la même religion : juif, chrétien, musulman et autres sectes
monothéistes.

Cahier de la cinquième feuille n°5
(1er avril 2005)
À la recherche des représentations de la vulve à travers les cultures et à travers le monde et dans ce cahier j’essaie de faire parler les bouches,
toutes les bouches et de parler leur langue et toutes les langues.
À partir des gravures des vulves aurignaciennes, je réinvente des rites, des cérémonies, des chants,
l’avant-garde de la fin du xxe et du début du xxie siècle qui a réinventé le rapport aux gestes, au corps, aux cris et à la voie retrouve ses sources.
Sans doute, une fois encore, une fois de plus, je me trompe… mais sait-on Jamais ?
Peut-être de temps à autre, je tombe juste, vrai.

Cahier de la cinquième feuille n°6/7
Tous les mythes mortuaires se correspondent : la preuve d’Alexandrie (grec & égyptien traduit par mes soins en aurignacien)
les genèses de toutes les spiritualités s’assemblent de celle d’Hermann ou celle de Brisset et Hans W. Bornefeld s’essaie à une orthographe et à une grammaire des glyphes cromagnonais !
Et je me réinstalle dans “mes vulves” de la plus énorme : le volcan de La Réunion à la plus belle, celle de Hortense ou d’Irène.
et je peux retrouver les rites à partir de la terre et de ses couleurs…
Alors je peux porter le heaume et pænser enfin !

Cahier de la cinquième feuille n°8
Édité par la Caza d’Oro au Mas d’Azil.
Alors être presque contemporain quitter les aurignaciens vieux de 40 à 50 000 ans pour vivre avec les aziliens “vieux” de moins de 15 000 ans.
Apprendre à écrire, à dire et à transmettre avec les galets…
S’éprendre à la fois d’Aurigna et de Magda.
et jeter, lancer la grotte au plus profond du firmament…

Mais chaque fois que tel savant, tel guide me montre la tête d’un équidé
j’avais vu avant sa (dé) monstration
à la place de la bouche de l’animal une vulve absolument parfaite et belle quant il s’agit de la bouche d’un âne.

Et je suis prêt pour ma prestation à Vigo :

Le  r’appel de Magda
(mise en place de l’installa©tion)

ça dit :
“La respiration : inspirer/expirer, inexpirer”

ça dit et répète :
“La respiration : inspirer/expirer, inexpirer”

pour redire et refaire :
“La respiration : inspirer/expirer, inespérer”

ça dit et répète :
“La respiration : inspirer/expirer, inexpirer”

moi , à cor et à cri.
moi fardé des trois terres
la rouge (joie : ijilli)
la blanche (funèbre : éêè-e)
la verte (emplacement : Y)
moi vêtu de la grande tunique du léopard vert.

Ça dit :
“La respiration : inspirer/expirer, inexpirer, inespérer…”

l’empreinte,
la trace ;
s’)écrire,
(se) peindre,
(se) farder,
un même geste.

Alors le son de la conque, le bruit de la conque, le chant de la conque
suivi de la respira©tion.
La conque
l’appel
le r’appel
&dire
(en)jouer
(en)chanter.

Paraître, disparaître,
dis
paraître.

Julien Blaine
Avril 2011

Corne d’éland
Corne de kudu
Argile verte
Argile rouge
Argile blanche

-

JULIEN BLAINE

JULIEN BLAINE